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Vous avez dit restitution ?

Le public nous demande souvent si le bras, le doigt, le pied manquant vont être restitués. Si la dorure ou la polychromie manquante vont être refaites.

Et, nous restaurateur-rices répondront invariablement que non, que ce n'est pas dans notre déontologie.

 

Qu'est-ce que cela signifie exactement ? Je n'aurais pas la prétention de me substituer aux grands penseurs qui ont servi de socle à l'élaboration de la déontologie de notre métier (J. Ruskin, C. Boito et enfin Cesare Brandi, entre autres), je vous y renvoie.

Si nous ne restituons pas à l'identique les éléments manquants, il est tout de même inscrit dans notre pratique, la nécessité de redonner à l’œuvre une unité visuelle et esthétique, une lisibilité. 

 

Cela se fait grâce à un travail de retouche (dont la matière employée reste réversible) pour la surface.

Pour la structure, dans le cas de remontages, il s'agit de rechercher la position la plus juste, et s'il n'y a pas de certitude, de s'assurer que ce qui est remonté reste démontable à l'avenir, pour permettre un nouveau regard ultérieur. Cela signifie dans ce cas de conserver parfaitement intact les plans de cassure pour servir de repères, par exemple. Conserver les traces d'outils est également une information capitale pour l’œuvre puisqu'elle parle au fil des siècles (des traces de chemin de fer du 19e siècle ne sont pas des traces de ciseau grain d'orge plus anciennes). Ces éléments techniques n'incitent donc pas à affranchir les plans de cassure pour remettre un bras par exemple, car dans ce cas l'information contenue dans les zones affranchies serait perdue de façon irréversible.

Le regard change avec les époques, nous ne sommes présents qu'à un instant de l'histoire de l’œuvre et elle perdurera bien après nous. Notre rôle de restaurateur-trices est de transmettre ce patrimoine, en y apportant le moins de modifications possibles. D'autres après nous comprendrons des éléments qui nous ont échappé ou que nous n'étions pas encore prêts à comprendre. Cette transmission a valeur d'humilité.

 

"Oui, mais si on ne restitue pas le bras, il va manquer visuellement quelque chose !"

Certes le manque est présent. Mais une œuvre comporte différentes valeur esthétique, historique et technique, plus rarement d'usage. Une œuvre dans un musée n'est plus destinée à "servir", par contre sa valeur patrimoniale est primordiale. Elle transmet des informations sur l'art et les techniques d'une époque. La conserver intact, sans brouiller les informations qu'elle donne, est donc une priorité.

Par ailleurs, les neurosciences montrent que le cerveau puis l’œil, complètent ce qui est manquant en fonction des éléments qu'ils perçoivent et interprètent. Cela suffit-il à se dire que l'on peut se passer de restitution ?

Non, mais il existe d'autre barrages à la restitution. L'absence de documentation tout d'abord, car les œuvres ne sont photographiées ou dessinées que rarement et quand cette documentation existe, elle peut-être parcellaire (vue d'un seul côté), approximative (dessin rapide), bref, peu fiable ou complète.

Par ailleurs, un-e sculpteur-trice, quel que soit son talent, laissera sur la pierre, la trace de ses outils et de son siècle (approche de la forme, emploi d'outils d'aujourd'hui).

Les restitutions sont donc à réserver à des cas indispensables, très bien documentés, avec un-e praticien-ne qui possède une grande connaissance des techniques anciennes et du temps pour réaliser sa copie.

 

L'approche formelle d'une sculpture est comme un morceau de musique. Si l’œuvre est bien sculptée, elle sonne bien, est harmonieuse dans ses formes et son rendu, quelles que soient ses lacunes. Au contraire, une restitution ou une retaille malheureuse donneront une impression dissonante à l’œil. Une sculpture peinte trop retouchée donnera un effet plastique, neuf et décalé par rapport à l'ancienneté de l’œuvre. Faites un test lors d'une prochaine visite et écoutez votre ressenti. La complétude peut aussi trouver sa place dans les vides. 

 

 

Quelques liens utiles :

https://www.ffcr.fr/referentiels

https://c2rmf.fr/restaurer/methodologie-et-deontologie-de-la-restauration

 

 

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